3 p’tits morceaux et puis s’en vont

Il y a quelques jours, un de mes propos dans une interview pour La Photo Live m’a valu pas mal de réactions par e-mail ou par médias sociaux interposés.
Dans ce rapide entretien numérique, j’affirme, je me cite, être “plutôt pour la limitation du nombre de morceaux” sur lesquels les photographes peuvent travailler lors d’un concert. Des propos que je n’ai pas toujours tenus.

Rapide retour.

Une salle de concert est un endroit privé. A ce titre, y fixer une image est interdit, c’est d’ailleurs souvent rappelé à l’entrée. Pour obtenir de la promotion -quotidiens, magazines, sites web- et donc potentiellement conquérir de nouveaux clients, le label -ou parfois les salles ou les tourneurs en province- charge une personne, l’attaché de presse, d’accréditer des journaleux pour venir faire un article sur son concert. Parmi eux : les photographes, qui bénéficient qu’une autorisation particulière leur permettant de prendre des images (fixes) du concert, le plus souvent dans une fosse qui sert également à l’équipe de sécurité (aka La Sécu), qu’on appelle également pit, zoophoto ou frontstage suivant son anglicisation.
Pour la totalité des concerts sans exception que j’ai fait (probablement aux alentours de 500) la règle des trois morceaux permet toujours de faire des images qui permettront d’illustrer son papier, à base de quelques portraits et d’images plus largement cadrées qui contenteront bien le lectorat moyen.

Photo chourée sur le web (DR)

Photo chourée sur le web (DR)

Cette fameuse -dans le petit milieu des photos de concerts- règle des trois morceaux a(urait) été instaurée par Andrew Oldham, alors manager des Rollings Stones qui a accepté de répondre brièvement à quelques unes de mes questions par e-mails interposés. Oldham affirme que la raison principale de cette restriction était la sécurité. “Keith [Richards] avait pour habitude de faire du crowd-surfing dès qu’il sentait que le public était prêt. Ça nous posait plusieurs problèmes vis-à-vis des photographes qui prenaient souvent des coups et des vigiles qui n’avaient pas assez de place”. Plus récemment, un manager me confiait que l’intérêt de laisser photographier le début du concert était d’éviter d’avoir des images d’artistes en sueur ou peu présentable. Pour certains artistes aux shows très visuels, c’est également une manière de préserver un peu de secret autour de leurs concerts.

Pouf pouf. (Nan Zahia, pas toi). Pouf pouf écrivais-je. La règle est là. Comme toutes les règles, elle est faite pour être appliquée. Mieux : elle peut être refusée. Après tout, personne n’oblige un photographe à venir couvrir un concert. Libre à chacun de n’accepter que des concerts sans cette fameuse règle des trois morceaux. Si ça existe. Encore mieux : des centaines de concerts ont lieu tous les jours sans la moindre couverture médiatiques alors qu’ils n’ont pas la moindre restriction photographique.

© Keith Cooper

© Keith Cooper

“Mais pourquoi diantre nous guinde t’il le mésencéphale avec sa règle à la con si tout va bien ?” me direz vous. Alors déjà, parlez moi autrement. On n’a pas écouté Orgamastron ensemble.
Comme vous le dirons aisément mes collègues photographes une fois que vous leur aurez payer une binouse -sauf Rod qui ne boit pas d’alcool-, pouvoir photographier l’intégralité d’un concert permet d’obtenir “l’émotion de l’instant”, “une complicité”, “l’instant de grâce” et une ribambelle d’expressions d’onanisme cérébral. En réalité le constat des publications est beaucoup moins masturbatoire : la grande majorité des images publiées en presse papier sont des portraits et une partie non négligeable du web semble vouloir s’en rapprocher -comme pour toucher la mort en vrai.

Car il est là le vrai problème. A lire/entendre une partie des photographes qui arpentent les salles de concerts -généralement pas ceux qui arpentent le plus- on à l’impression d’avoir le discours d’artistes post-moderne tentant d’expliquer pourquoi un ready-made de Duchamp en forme de chiottes est censé valoir de l’argent. Or, peut on réellement considérer la photo de concerts comme un art alors que les lumières, la mise en scène du groupe, la salle, l’ambiance et la plupart des paramètres n’appartiennent pas au photographe ? Peut on affirmer dignement que trente moutons qui font des portraits au télé-objectifs dans une fosse commune affirment leur art et leurs visions ?

Ma réponse est non.

La notion “artistique” est une autre démarche. Il s’agit non plus de faire des “photos de live” mais bien de faire un sujet sur le concert. On retrouve largement cette démarche dans les travaux de Rod, Robert Caplin, Alain G., Arno Paul, Sophie Delaveau, M’sieur Eddy ou encore le tout jeune Funkin. A cette condition, effectivement, la règle des trois morceaux est une contrainte car elle bride la créativité et la possibilité de traiter le sujet. La fosse aussi. Reste que la plupart de ses photographes travaillent souvent avec des pass all-access (accès à toute la salle pendant tout le concert) proposés ou obtenus suite à leurs démarches particulières.

Les Cowboys Fringants à l'Olympia (© B.Lemaire)

Les Cowboys Fringants à l'Olympia (© B.Lemaire)

“On s’égare rarement en s’imposant soi-même des règles sévères.” disait Fucius, qui avait oublié d’être con. Ainsi, les règles sont là. Par essence. Mais elles sont contournables, adaptables, négociables… Et surtout, on peut les ignorer… en ignorant l’évènement. Un des rares endroits où l’on peut se permettre de faire ça. Un privilège.


Remerciements : Tim & Davis de Sirius Satellite Radio, Andrew Oldham

Catégorie : Editoriaux

3 réactions »

  • Fab - Lartscenes :

    Ecrit comme ça c’est clair et on comprend tout 😉

    En fait moi ça me frustre sur certains concerts où on sait que l’on aurait pu faire de super photos, comme sur Gossip par exemple.
    Mais je me rend aussi compte que sur pas mal de concerts, 3 morceaux c’est largement suffisant, parfois au bout d’un et demi je ne sais plus quoi shooter.
    Et puis si on veut vraiment faire tout le concert, il suffit de négocier ; pour nous en province c’est surement plus facile (on est rarement plus de 2 ou 3 même au Zénith de Nantes) mais ca permet de faire des choses intéressantes et un peu différentes.

  • Rod :

    c drole ke tu ecrives ca le jour meme ou des boulets qui sont autant à la photo de concert ce que je suis au cuturisme m’ont pris la tete sur Facebook 🙂

    mais dans l’absolu ouais : il n’y a que dans ce milieu que ca gueule pour tout … et en effet, s’ils sont pas contents, qu’ils aillent shooter de la bouffe pour Carrefour. Ca fera de la place dans les salles 🙂

  • Daidix :

    Ouep et j’avoue que quand je paye ma place j’ai tendance à vouloir gueuler sur le connard de photographe qui squatt devant ma tronche en mode rafale !
    3 morceaux, ça permet d’éviter de trop saouler le public des fois.

    Le truc relou c’est que sur les 3 premiers morceaux, l’artiste a rarement le temps de se mettre dans le bain et de se lâcher comme il faut. Tété faisait venir les photographes pour 3 morceaux, après 15/20 min de concert. C’était plutôt coolos …

Et toi t'en penses quoi ?