Entretien avec Ibibio Sound Machine

C’est grâce aux Trans Musicales que Ibibio Sound Machine a fait ses débuts en France, en 2013. Depuis, les Londoniens ont fait un bout de chemin puis qu’ils présentaient leur deuxième album Uyai à la Grande halle de La Villette, et se retrouvaient en fin de la tournée des festivals à Rock en Seine. C’est là que Le Transistor a rencontré Eno Williams, la chanteuse charismatique de ce groupe fusion des plus détonnants.

Ibibio Sound Machine

La musique d’Ibibio Sound Machine a pour but de faire danser le public. “Une des chansons que je chante, ‘Joy’, on souligne le fait que notre musique te fais oublier ton âge et t’aide à te perdre : quand tu nous écoutes, tu ne peux t’empêcher de danser, comme si personne ne regardait.“ (rire)

De faire danser le public, mais aussi le faire réfléchir. “On recherche un équilibre. Même si le message est sérieux, on ne cherche pas à creuser les doutes ou à jouer sur la négativité. Parfois, quand ça devient trop lourd, on utilise la danse, ou le côté exaltant de la musique, et la puissance de certaines chansons, pour faire passer le message. Un message d’espoir et de positivisme.” C’est pourquoi Eno Williams explique le thème de ses chansons avant de les chanter en ibibio. “On adore danser, mais il faut pas oublier ce que raconte la chanson. On danse mais on sait pourquoi on danse. On danse avec une raison, une cause. Pour propager le message d’espoir, pour partager une joie. Pour l’espace d’une minute, oublier la peine, essayer de se réjouir, transformer la souffrance et trouver un bonheur. Pour apporter un résultat positif, trouver une solution.”

Le single de ce nouvel album Uyai, c’est ‘Give Me A Reason Why’, sur les filles enlevées par Boko Haram. “Quelques mois après avoir sorti la chanson, on a appris que certaines des filles ont pu rentrer chez elle. Ca n’a rien à voir avec nous, mais, quand on offre quelque chose de positif, que ce soit des prières ou des chansons, on obtient quelque chose de positif en retour. Comme un effet cosmique, que certains appellent Karma. J’y crois beaucoup. Il y a beaucoup de négativité, mais il suffit de sortir de cet état d’esprit et des choses se passent, même des choses spirituelles, si on y croit. “ (rire)

Ibibio Sound Machine chante dans un dialecte du Nigeria, dans lequel Uyai signifie beauté. “Il s’agit de la beauté des femmes, dans leur vulnérabilité, leur force d’esprit, et leur volonté. Mais aussi tout ce qui est beau. Le monde dans lequel on vit, la nature, le soleil, la lune, les étoiles, même le processus de faire de la musique. Tout ce qui rend les choses belles. Et aussi le fait d’être libre, mais ce message n’est pas uniquement pour les femmes, parce que pour moi, tout le monde a le droit à la liberté. De faire ce qu’on veut, de ne pas être réprimé.” C’est la grand-mère d’Eno Williams qui l’a poussée à chanter en ibibio. “Je faisais du gospel à l’époque et un soir qu’elle était en vacances chez nous, elle me demande quand est-ce que je vais me mettre à chanter en ibibio. On a tous explosé de rire ! J’ai répondu quelque chose en chantant. Et elle a répliqué que justement ça sonnait bien. Donc quelque part, ce groupe lui rend hommage, parce que si elle avait encore été de ce monde, elle aurait été tellement heureuse de venir en festival avec nous. Ma mère vient parfois. Elle adore ! ”

Pourtant les huit membres du groupes viennent des quatre coins du monde. “Quand on a commencé, Alfred [Kari Bannerman] et Max [Grunhard] avaient joué ensemble dans un projet de musique africaine, et de mon côté j’étais plus ou moins en train de m’essayer à la langue ibibio, la langue de ma grand-mère, de ma mère… et Max a remarqué que cette langue était très musicale ! Il n’avait jamais entendu quoi que ce soit de pareil.” Arrivés d’univers différents, les musiciens se sont rencontrés à Londres la cosmopolite. “Chacun a proposé des idées, pour essayer d’écrire sur les sons africains. Et sans s’en rendre compte, on avait créé tellement de chansons ! Mais les gars sont très fans de jazz australien et britannique, et le percussionniste joue sur des sonorités africaines et cubaines. Et en mixant tout ça, on en est arrivés là.”

Leur musique, fusion de leurs envies, n’est pas vraiment catégorisable. “Ca me rappelle une chose que ma grand-mère racontait : quand on fait un pot au feu, pour que ce soit goûtu, on a besoin de tellement d’ingrédients ! Ce ne sont pas les épices qui vont faire le goût, c’est le mélange de toute une liste d’ingrédient. Et c’est pareil en musique, il faut beaucoup d’éléments pour que ça fonctionne, pour donner envie de danser. Pour moi, la musique c’est la nourriture de l’âme.”

Si Eno Williams est originaire du Nigeria, elle n’a découvert l’afrobeat que récemment. “Quand j’allais à l’école au Nigeria, j’avais des amis qui vivaient à Lagos. Une fois qu’ils étaient venus nous rendre visite pendant les vacances, ils n’arrêtaient pas de parler de cette soirée qu’ils avaient passée à The Shrine. Ils étaient tellement excités parce qu’ils avaient vu Fela Kuti, mais ce club avait une très mauvaise réputation, c’était clairement pas pour des adolescents. Sa musique était controversée, parce qu’il disait ce qu’il pensait, ce qui était souvent la vérité.” Ce n’est que beaucoup plus tard qu’elle s’est mise à écouter Fela Kuti. “Je respecte son courage de parler pour le peuple, d’être une voix sans peur des risques. Il y a une liberté dans son geste, car il ressentait ce besoin d’être libre. Et c’est comme ça que l’afrobeat est né ! Il a ouvert un chemin pour la musique africaine. Je suis reconnaissante de ce qu’il a fait, parce que sans ça, je serais pas capable de faire ce que je fais aujourd’hui.”

Réclame

Uyai, le deuxième album d’Ibibio Sound Machine, est paru chez Merge Records
Ibibio Sound Machine sera en concert le 20 octobre à la Bellevilloise


Remerciements : Marion [Ephélide]

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