Entretien avec Ala.ni

Il y a un peu plus d’un an, Le Transistor découvrait Ala.ni, un nom énigmatique pour un projet encore très mystérieux. Une voix intemporelle sur des arrangements d’un autre temps et un charisme irrésistible. Entretemps, l’artiste est passée au FNAC Live et depuis qu’elle a sorti son premier album You & I, tous les médias se l’arrachent. Mais l’Anglaise a tout de même trouvé du temps, sur sa pause déjeuner, pour discuter de jazz, de Londres et de Chassol.

Ala.ni

La première fois que Le Transistor a vu Ala.ni en live, c’était au Silencio. « J’ai toujours été fan de David Lynch, donc quand cette salle a ouvert, j’avais qu’une idée c’était d’y jouer, alors que je n’avais encore aucune musique à présenter ! »

Avant de se lancer dans son projet solo, Ala.ni s’est donnée créativement dans plusieurs domaines. « J’ai fait un peu de mode, et d’autres choses… sans rien de précis en tête. J’ai toujours écrit, je n’ai jamais arrêté de composer. Mais je ne voulais pas chanter avant de me sentir prête. Je voulais attendre d’avoir plus confiance en moi, en mon art. Parce que pour s’adresser aux autres, il faut être dans un état d’esprit positif. » Mais la musique a toujours été présente puisqu’elle prend des cours de chant depuis ses 5 ans. « J’ai eu beaucoup d’opportunités de me lancer avant, mais si j’avais continué dans l’industrie de la musique, je serais morte à l’heure qu’il est. Si j’avais continué à tourner avec Blur, j’aurais fini avec un problème de drogue. C’est pas que cette vie n’est pas agréable, au contraire, c’est trop confortable ! C’est une forme d’échappatoire permanente. »

Ala.ni était à la Sylvia Young Theatre School, avec notamment Amy Winehouse. « Avant ce que je faisais ne m’appartenait pas, parce que j’attendais ce quelqu’un d’autre qui me valide. Je ne pensais pas être à la hauteur. Un peu comme Amy qui avait ce talent incroyable, et qui je le jure ne prenait rien, n’avait pas de problème d’alcool ou autre avant… Ca arrive tellement vite : la plupart des gens avec qui je suis allée à la l’école ont les mêmes problèmes ! » Pour elle, les milieux créatifs sont les plus difficiles. « Il faut constamment faire semblant d’être sûr de soi. Personne n’a autant d’égo en réserve, c’est pour ça que les acteurs sont les plus fragiles : ils doivent prétendre sans arrêt. A l’extérieur, ils sont arrogants, mais à l’intérieur ils flippent ! Maintenant je suis indépendante, je ne me remets pas sans arrêt en question, je peux avancer. Personne ne peut me dire comment vivre ma vie. »

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Une fois la décision prise de se monter son projet solo, Ala.ni s’est lancée avec des idées très précises. « Avec seulement quelques chansons de prêtes, je savais déjà que je voulais les faire paraître sur un label indépendant à Paris. No Format est le premier label que j’ai sollicité, l’équipe est venue deux fois à Londres me voir, donc je me suis qu’il n’y avait pas besoin de chercher plus loin. Et ils sont géniaux ! » Avec notamment cette envie de vivre à Paris. « Je savais que la culture correspondait à mon projet. Bien sûr je n’ai pas fait l’album pour un pays en particulier, mais je me disais que la réception serait meilleure qu’à Londres. Et la suite des événements m’a donné raison. »

Pour Ala.ni, les Français sont moins frileux en termes de risques. « Même la structure sociale favorise l’artiste. Bien sûr il y a beaucoup de formulaires administratifs à remplir mais tu es soutenu par le gouvernement même quand tu ne produis pas. Certains artistes ont changé le monde avec une seule contribution dans leur vie, et rien que pour ça, ils devraient recevoir un peu de considération. Je ne veux pas vivre dans un pays qui ne soutient pas l’art. » A Londres, l’artiste s’est heurtée à une incompréhension. « Parfois il faut regarder des films et lire des livres pendant plusieurs semaines pour faire mûrir un projet. Quand j’ai écrit cet album, je regardais la série Les Sopranos en mangeant des pâtes, ça fait partie du processus ! Ce n’est pas qu’une question de concerts ou de répétitions. C’est pour ce respect du processus créatif que j’habite à Paris : ici je n’ai pas besoin de me justifier. »

Ala.ni appelle Londres la ville des illusions perdues. « La ville est morte maintenant. J’ai grandi du côté de Hammersmith, et j’ai décidé de partir quand ils ont construit le grand centre commercial à Shepherd’s Bush. C’était la goutte d’eau ! Ils ont tué le marché où j’achetais mes tissus quand j’étais dans la mode. Quelle ville laisserait mourir ses petits commerces ? Ce n’est plus une ville pour les gens mais pour le business… Or une ville sans population n’existe pas ! Londres a perdu son coeur ! »

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Maintenant qu’elle a trouvé sa place, Ala.ni s’inquiète de son image. « De nos jours, on regarde la musique plus qu’on ne l’écoute. J’aimerais qu’on ressente un son avant de s’intéresser au physique. Je suis pas pudique, et si ça correspondait à mon univers musical, je ne verrais aucun souci à me dévêtir, mais je veux pas que ça prenne le pas sur ma musique. Ca n’aide pas ta carrière, parce qu’on se demande si tu sais chanter, et on te met juste dans une catégorie “nue”. »

Justement, il semble qu’Ala.ni ait voulu éviter la catégorisation jazz. « La production de mon album est assez minimaliste parce que c’est ce que j’étais en mesure de faire. Je l’ai réalisé moi-même, et je pouvais pas me payer un Big Band de jazz. J’ai commencé avec un quartet et un piano, mais il n’y avait plus de place pour ma voix. Cela dit, cette production est assez ouverte pour ne pas être catégorisée : le jazz, je ne peux y échapper mais il y a aussi du reggae. » Au passage, l’Anglaise ne prétend aucunement être musicienne de jazz. « Le jazz c’est une expression libre avant tout. La musique classique c’est des partitions, et le jazz prend la forme classique pour la déconstruire. En classique il y a un début et une fin, le jazz connaît la partition par cœur mais décide commencer au milieu ! On peut partir sur un ressenti : si je me sens un peu fatiguée ce soir, on peut jouer avec le tempo alors qu’en classique, tout le monde est au métronome. La liberté c’est le jazz. »

Mais si sa musique est influencée par ce courant, c’est un mélange plus large. « Si les gens écoutaient tout ce que je fais en musique, ils seraient perdus : c’est tellement diversifié. A mes débuts, on aurait dit une Joni Mitchell noire, et par moments c’est du Grace Jones electro… ça part dans tous les sens ! On se demande d’où je sors alors que j’ai grandi en écoutant Judy Garland, Julie Andrews. C’est naturel pour moi, mes muscles sont entraînés, je n’ai même pas besoin d’y penser. »

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D’ailleurs Chassol lui aurait conseillé de s’aventurer plus sur les terres du hip-hop. « Je l’adore ! Récemment, on a chanté ‘Parlez moi d’amour’, pour une soirée hommage à Juliette Gréco sur France Inter, donc on a passé pas mal de temps chez lui pour répéter. J’aime sa manière de penser, il est tellement drôle. On a une sorte de battle en ce moment (rires). Il m’appelle Sammy David Jr et je dois trouver un autre acteur noir en réponse sauf qu’il n’y en a pas tant que ça donc on s’est rapidement retrouvés à court ! (rires) »

Réclame

You & I, le premier album d’Ala.ni est paru chez No Format
Ala.ni sera en concert au Printemps de Bourges et le 7 juin à la Cigale
Lire le live report d’Ala.ni au Silencio


Remerciements : Delphine Caurette

Catégorie : A la une, Entretiens
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