Entretien avec Dan Deacon

Dan Deacon c’est ce savant fou, diplômé du conservatoire et compositeur de musique contemporaine, qui crée l’EDM la plus ludique qui soit. Avec Gliss Riffer, Dan Deacon nous propose de nous réapprendre à nous relaxer, afin de recharger nos batteries créatives. C’est à La Route du Rock que Le Transistor l’a rencontré, pour, selon ses dires, « une réflexion philosophique sur la signification de la musique et de la vie ». En fait, on a parlé de Bill Murray, de boue, de gâteaux, et de papillons.

Dan Deacon commence par exploser d’un rire de bon vivant extrêmement communicatif : « J’ai oublié mes bottes, j’ai pris que mes baskets blanches ! Et le pire c’est que je le savais : la dernière fois, j’étais dans la boue ! Mais j’admets que j’aime être recouvert de boue… ça doit être pour ça que je suis venu ! »

Gliss Riffer, son huitième album, est né de la réalisation qu’il avait besoin de s’ennuyer pour pouvoir créer. « J’ai réalisé récemment que j’étais toujours préoccupé par quelque chose. Comme je suis toujours plongé dans les technologies, que ce soit avec mon téléphone, mon ordi, ou n’importe quelle connexion Internet, à aucun moment je laisse mon esprit s’aventurer, s’égarer dans des pensées. » En fait, Dan Deacon s’est aperçu qu’il était accro au stress et à l’anxiété. « C’était mes moteurs pour mener à bien mes projets : je m’imposais toujours de fausses contraintes – deadlines ou buts inatteignables – pour me stresser et ainsi obtenir le soulagement une fois l’objectif atteint. J’essayais vraiment de me rendre les choses impossibles pour voir si je pouvais le faire. Comme le fait de jouer avec 85 musiciens ! Et je me suis rendu compte que le rendu créatif était secondaire pour moi. »

A force de se poser des défis, Dan Deacon avait même perdu le plaisir de la scène. « Je me mettais tellement la pression, que ça en devenait une mauvaise expérience à cause de cette névrose que j’ai moi-même créée. Et puis je suis tombé sur une interview de Bill Murray, et que j’ai compris que j’avais complètement oublié le concept de la relaxation ! Il parlait juste de vivre l’instant présent et d’être suffisamment décontracté pour pouvoir emprunter de nouveaux chemins. » Cette révélation a changé sa manière d’aborder son quotidien. « Bien entendu, je suis toujours stressé, il y a toujours des choses qui m’angoissent, mais en général, j’essaie d’envisager les choses avec anticipation plus qu’avec anxiété. J’ai envie d’avoir hâte, sans appréhender. Je fais toujours des plans tout en m’assurant qu’ils ne soient pas trop rigides pour pouvoir les modifier. C’est bien d’avoir une vision, mais il faut savoir regarder à gauche et à droite à l’affût de nouvelles explorations. »

Du coup, ses méthodes de compositions sont aussi impactées par cette révélation. « Je veux juste être moi-même et faire de la musique que j’aime écouter. Quand je fais de la musique, je veux pas m’inquiéter de savoir où elle va atterrir avant d’avoir fini. C’est important de penser à la vie de ce bout de musique mais quand j’improvise sur mon ordi, je suis juste en train de m’amuser, c’est comme un cahier d’esquisses. Puis au moment de développer l’idée, je me demande si le morceau sera sur un album ou sur scène. » Le compositeur veut pousser encore la réflexion pour son prochain album. « L’idée c’est de ne pas m’inquiéter du live quand je compose pour m’autoriser à expérimenter plus. Et ensuite je l’arrangerais pour l’adapter. Je pense d’ailleurs que ça me donnera d’autant plus de liberté pour la prochaine tournée, parce que je ne serai plus lié par une formule. Je suis persuadé que ce processus va produire de nouveaux fruits, qui j’espère auront bon goût. Comme ça on pourra en faire de chouettes gâteaux, parce que j’aime beaucoup les gâteaux ! Il n’y a que les imbéciles qui n’aiment pas les gâteaux ! »

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Depuis ses débuts, le live était le but de ses compositions, mais Dan Deacon ne veut plus envisager la composition sous cet angle. « J’essaie juste de ne pas penser à la vie du morceau sur scène… du tout ! Je prends de plus en plus de plaisir à faire des albums et j’aime beaucoup faire des chansons que je ne joue pas en live. Je réfléchis à une autre installation live qui pourrait incorporer différentes énergies de musiques : de la même manière que mes albums ont des morceaux plus ambiants, ou des longues plages de musique minimale – qui ne marchent pas en concert. » Gliss Riffer est au final beaucoup plus accessible que ses prédécesseurs. « On change forcément de par nos expériences. Quand j’étais plus jeune, je ne comprenais pas que les groupes ne continuent pas à faire les mêmes albums. Et quelque part, je ne veux pas décevoir le moi adolescent, je veux que l’adolescent qui a été fan de l’album Spiderman of the Rings [paru il y a 8 ans] aime tout autant Gliss Riffer. Et en même temps, je veux nous mettre au défi, moi et mes fans. Parce que si ma musique est un cocon, il faut en sortir à un moment, pour devenir un papillon, non ? »

Cela dit, Dan Deacon ne compte pas arrêter d’offrir des concerts hautement participatifs ! « Le public devient le concert. Mais chacun vit un concert différent : la foule ne se pense pas comme un “nous” : même dans un festival qui rassemble professionnels, bénévoles, artistes et public, personne ne dira “nous nous sommes éclatés”. Alors que ça se fait dans le domaine du sport : on est a gagné le match, on a besoin d’un nouvel entraineur. C’est étonnant à quel point certaines foules s’identifient à un groupe plus large et d’autre restent dans l’individualité. » L’artiste aime à bousculer les habitudes individualistes du public. « La plupart des performances sont passives pour l’audience : on vient pour se faire divertir. Mais on reste actif, parce quand on est à un concert, la musique est la seule source d’imagination alors qu’un livre, une pièce de théâtre ou un film va dominer tes pensées. La musique est une chose qui constamment requiert ton imagination. C’est de l’art totalement abstrait, et donc réclame toutes tes capacités. »

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Ce que Dan Deacon recherche, c’est le moment où la foule commence à se considérer comme un “nous”. « Ca requiert un certain niveau de conscience, dans l’audience, c’est pourquoi je m’adresse à la foule. J’aime les performances qui font réfléchir la foule, ça ajoute un attachement de souvenir à l’expérience. Par contre, je force personne : chacun qui choisit de le faire ou non. Et même choisir de ne pas le faire c’est de la participation. Dans la tête des gens il se passe un truc comme : ‘Pourquoi j’ai pas fait ce qu’il a dit ? Oh mon dieu je suis en train de le faire ! Mais pourquoi je suis en train de le faire au juste ?’» Et l’interview se clôt comme elle a commencé : par un immense éclat de rire communicatif !

Réclame

Gliss Riffer, le huitième album de Dan Deacon, est paru chez Domino Records.
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Crédit photo : Frank Hamilton


Remerciements : Maxime [La Route du Rock]

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