Entretien avec Lord Huron
Après un premier album à la recherche de Lonesome Dreams, Lord Huron est de retour avec de Strange Trails. Derrière des paysages d’americana et des scénarios de science-fiction, Ben Schneider déverse ses sentiments les plus tourmentés. Lors de son passage au Pop Up du Label pour un concert affichant complet, Le Transistor est parti partager une bière, comparer ses tatouages et échanger sur ce nouvel album sombre mais romantique.
Lord Huron
Pour l’anecdote, Ben Schneider est très sensible à notre culture. « J’habitais à Marseille, et je venais souvent à Paris. Je venais de finir l’université aux Etats-Unis et j’étudiais le français dans une petite école. C’était sympa. »
A côté de lui se trouve un cahier rempli de dessins. « J’étais en train d’essayer une histoire qui m’est venue, donc j’ai commencé le story board, ça m’amuse. Quand on est en tournée, on a pas mal de temps, assis à ne rien faire. Dans le van, ça bouge un peu, mais ça va, c’est juste des ébauches. » A l’époque où il vivait en France, Ben Schneider venait de finir des études d’art visuel et se préparait à affronter la grosse pomme. « J’étais artiste plasticien et j’intégrais de la musique à mon travail, pour des expositions multimédia. Souvent je faisais de fausses expositions d’histoire, et je le présentais des œuvres comme des faits historiques. Et à un moment je crois que la musique a pris le dessus. L’art reste une partie intégrante de mon travail, mais est relégué en second plan alors qu’avant ça s’équilibrait. »
Pour accompagner certains titres de Strange Trails, Lord Huron a fait paraître une bande dessinée. « C’est pour apporter différents fragments de l’histoire. Ca suit pas forcément la chanson littéralement, ça ne traduit pas la chanson mais c’est lié. Ça donne une sorte de contexte. On va en sortir trois normalement, avec des clips aussi mais je veux pas saturer les gens avec trop d’éléments non plus. C’est à disposition, pour ceux qui veulent approfondir leur expérience de l’album, mais je veux que les gens puissent aussi juste écouter la musique, l’apprécier en tant que telle. » Dans l’idéal, Ben Schneider aimerait aussi sortir un film. « J’avais au départ imaginé les chansons comme la bande son d’un film. L’idée c’est de voir les choses en grand, d’avoir de l’ambition, et de voir ce qu’on peut réaliser au final, mais le problème c’est que ça coûte cher. Comme on a pas signé avec une major, on a beaucoup de contrôle artistique, ce qui est cool. Mais le label indépendant a ses limitations financières… Ça me va, je n’échangerais pas même si on est obligés de nous-mêmes payer pour pouvoir venir tourner en Europe. »
S’adaptant à des budgets modestes, c’est sur Craig’s List que le groupe a trouvé son studio. « C’était notre dernier espoir, comme ça l’est souvent sur Craig’s List. Et on pensait qu’on trouverait absolument rien, mais on était tellement désespérés, qu’on s’est dit qu’on avait rien à perdre. Les propriétaires n’étaient pas conscients qu’ils possédaient un studio complet, c’est à peine croyable. » Ainsi, c’est dans un ancien studio de gospel que Lord Huron a élu domicile. « C’est un très beau studio, mais tout l’équipement était un peu décrépit. Donc on a apporté notre matériel, et maintenant ça fait six mois qu’on y vit. Quand on est en tournée, on le loue à d’autres groupes en attendant. Avec un peu de chance on va pouvoir le garder, car j’aimerais pouvoir le garder pour y enregistrer le prochain album… Mais encore une fois c’est cher. »
Pour son projet Lord Huron, Ben Schneider s’inspire beaucoup de l’univers de la science-fiction. « Mais ça reste romantique dans le sens traditionnel. Et c’est normal : on ne peut pas vraiment ignorer l’amour. J’ai l’impression que parfois les gens ne se sentent pas à l’aise avec ce sujet, ça leur paraît trop mielleux peut-être, ou alors c’est compliqué à exprimer ? Mais pour moi, c’est tellement viscéral. Ça peut être aussi dangereux ou difficile à vivre que de la violence. C’est compliqué à expliquer mais pour moi il y a quelque chose de réconfortant dans la tristesse. Parce que ça fait partie de la vie. » Cependant, Ben Schneider n’a pas peur de parler d’amour de manière réaliste. « C’est pas que je sois quelqu’un de particulièrement négatif, mais je pense que c’est sain de regarder aussi la partie plus sombre de ta vie. De temps en temps. Ça rend les parties claires plus lumineuses. Ensuite quand c’est pur et beau, que ça marche, c’est tellement magnifique. Je pense que la majorité d’entre nous doivent traverser des parties plus compliquées avant d’arriver aux parties douces. Ça leur permet de les apprécier à leur juste valeur.
Ainsi, la fiction côtoie le réel au sein des textes de Lord Huron. « Je pense qu’il faut élaborer à partir d’éléments concrets : il faut comprendre le sentiment pour pouvoir en parler. Donc ça commence par ce qui est arrivé, à moi ou un proche, et ensuite je le tourne en fiction. Simplement, parce que l’histoire doit tenir dans une chanson. Avec la fiction, on arrive à la vérité plus rapidement, c’est plus direct, on suit une ligne directrice. Alors que dans la vraie vie, c’est souvent rempli de détails qui sont trop longs à raconter. » Ce qui rend les paroles assez mélancolique… « Pour que les gens puisse s’identifier, il faut partir sur quelque chose qu’on connaît, qu’on a vécu. Donc bien sûr il y a une partie de moi dans chacune de mes chansons. Et en effet, je pense que ces dernières années, c’était mon état d’esprit… »
Lord Huron a plusieurs astuces pour faire passer ses émotions dans un format court. « Quand j’écris une chanson, le format est très court pour raconter une histoire, on n’a pas beaucoup de temps, donc il faut aussi utiliser les sons pour créer des associations d’idées. Ça permet de donner une dimension aux chansons, sans avoir besoin de trop en faire. Ça peut être un rythme, un son, un cri que les gens ont déjà entendu, et ça crée une atmosphère instantanément. » C’est pourquoi on retrouve du rockabilly dans son Strange Trails. « J’aime beaucoup ce style de musique, mais ça peut vite virer kitsch. Alors que c’est une des meilleures musiques jamais créées, c’est dingue ! Quand on l’utilise, il faut vraiment faire attention. Mais ça crée une esthétique, ça place dans le temps, et ensuite on peut rajouter nos saveurs, pour en faire quelque chose de nouveau. Bien entendu, c’est un pari, parce qu’on n’est jamais sûr que les gens vont saisir la référence. Mais j’espère qu’ils pourront la ressentir, comprendre les vibrations, l’intention. »
Réclame
Lire le live report de Lord Huron au Pop Up du Label
Lord Huron sera en concert au Shepherd’s Bush Empire de Londres le 11 novembre
Remerciements : Claire et Jennifer [PIAS]
Catégorie : A la une, Entretiens
Artiste(s) : Lord Huron
Production(s) : PIAS
Ville(s) : Paris
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