Entretien avec Sleigh Bells
Moins de deux ans après Treats, Sleigh Bells revient avec un deuxième album. Après avoir couru tous les festivals de la planète et notamment assuré la tournée finale de LCD Soundsystem, le duo se sent plus en confiance pour s’engager dans une nouvelle voie avec Reign of Terror. Le Transistor les a rencontrés quelques heures avant leur concert à la Machine : très à l’aise, Derek a même repoussé une interview téléphonique avec Pitchfork pour pas écourter notre discussion.
Sleigh Bells
La première impression de Reign of Terror c’est cette intensité amplifiée. « L’album est dense, mais rien ne se superpose. C’est juste que tous les sons sont bien lourds, avec de grosses batteries… alors que sur Treats, y’a rien, c’est un kick, un clap et une guitare sur toute la chanson. »
Sleigh Bells est toujours aussi puissant mais plus en subtilité. « Reign of Terror est plus mélodique mais il a été écrit différemment. Sur Treats, le rythme était la base et les guitares venaient par-dessus. Avant c’était les claps et les clics, et tout tournait autour des batteries. Alors que ce nouvel album est clairement basé sur les guitares, ça nous a permis de développer le potentiel des mélodies sur cet album. » En ressort un album plus lié, plus accessible, donc plus fort. « J’aime m’imposer des limites dans la création, ça me force à envisager les choses différemment. C’est ce que Jack White raconte tout le temps. Et je me retrouve dans ce conseil. Il parle toujours de trois couleurs, trois instruments… bon en même temps il est obsédé par la numérologie et le chiffre trois. Mais je m’identifie à cette manière de composer, que ça passe par les limites. »
Maître de tous les aspects de leur création, c’est Derek qui a fait cette pochette si violente. « On fait tout nous-mêmes. Les vidéos, l’artwork… On nous aide à l’exécuter, mais l’idée vient de nous. On est très insulaires, on se protège du monde extérieur. C’est Derek qui a produit les deux albums, il a joué tous les instruments. On veut garder le crédit de notre travail tant qu’on peut et comme on n’est pas à court d’idées… »
Les clips aussi ont tous été faits par le duo. « C’est un défi de tout réaliser par nous-mêmes. On nous propose bien entendu des scénarios de clip, mais on a nos propres idées. En gros, on se pose et on filme un moment à nous, détendus. Pour ‘Comeback Kid‘, on n’a pas essayé de faire un clip. On était tranquille et j’ai commencé à danser, et en gros, c’est les vidéos de deux jours passés à s’éclater, tout simplement. On a rien planifié ! »
Derek admet qu’il n’est pas un professionnel, qu’il apprend encore beaucoup de techniques au fur et à mesure. « Pendant des années, je savais pas comment produire les albums. Jusqu’à ce que je m’y mette et que je réalise qu’à aucun moment quelqu’un va venir te chercher pour te dire qu’il est temps que tu deviennes un producteur. C’est à toi de te lancer : je suis pas réalisateur de clip, pourtant j’ai fait un clip… Est-ce que ça fait de moi un réalisateur ? J’en sais rien mais j’en ai fait un, donc oui, je suis réalisateur maintenant. Le fond de l’histoire, c’est qu’il faut pas attendre qu’on vienne te dire que tu l’es, il faut le devenir. »
Cette attitude très défensive par rapport à leur travail vient peut-être du fait que Reign of Terror est très personnel. « Certaines paroles sont autobiographiques, chose que je n’avais jamais fait avant. J’ai vécu des choses très difficiles et j’arrêtais pas d’y penser… Ca me rendait fou. Donc cet album a un côté très thérapeutique. Ca tournait en rond dans ma tête, il fallait que ça sorte. Au final, c’est un album complètement non ironique et sincère. » Certains textes de Derek, notamment ‘You Lost Me‘ peuvent être interprétés comme liés au suicide. « Oui… c’était un mauvais moment de ma vie… c’était pas facile. Mais ça va, je m’en suis sorti. Cet album m’a beaucoup aidé… Mais c’est difficile d’en parler bien évidemment. Dans un sens, on a divulgué beaucoup d’informations, dans les paroles, pour que les gens comprennent à demi-mot ce qui s’était passé comme ça on a pas besoin de revenir dessus. »
Cet aspect cathartique des paroles donnent une autre dimension au chant d’Alexis. «On a traversé cette épreuve ensemble, même si c’est Derek qui est concerné. On s’est pas quittés ces derniers mois, entre la tournée de l’album et le travail en studio. Il y a une connexion, on se comprend. Cet album nous appartient plus à tous les deux… »
Derek : Moi je pourrais jamais chanter ce que j’ai écrit. Si j’avais dû le chanter, j’aurais pas pu l’écrire. Le fait qu’elle le chante, ça me calme. Elle sait exactement ce qui s’est passé.
Alexis : C’est une des choses que je préfère dans le chant, assimiler les émotions pour les faire miennes, les interpréter du mieux que je peux. C’est un challenge parce qu’on veut rendre justice au travail de composition, mais j’ai jamais senti que je chantais quelque chose qui m’était étranger.
Derek : Parce qu’elle savait. On en a jamais parlé à proprement parler mais à force de passer du temps ensemble… Elle savait où j’en étais. Elle sait ce qui se passe dans ma vie et d’où viennent les paroles. »
Malgré des paroles profondes, le show reste toujours aussi enlevé et haut en couleur. « On aime les show massifs et chaotiques, on aime la confrontation. Et nous, quand on monte sur scène, on veut montrer aux gens ce dont on est capable, ce qu’on a dans le ventre. On veut laisser un impact. On monte pas sur scène pour regarder le bout de nos pieds. »
Alexis est couverte de tatouages, comme pour s’assurer de ne jamais plus s’écarter d’une carrière artistique. « J’avais déjà fait la plupart de mes tatouages quand j’étais prof. Mais fallait que je les cache, surtout l’été. J’enseignais dans une école publique et y’avait pas l’air conditionné dans toutes les salles. Mes élèves savaient que j’avais des tatouages parce qu’en juin, j’en pouvais plus, j’enlevais mes manches longues ! » Elle a notamment un tatouage à l’annulaire gauche. « C’est ma bague de fiançailles… c’est parce qu’on était trop pauvre pour s’acheter un réel diamant. » D’ailleurs, le fiancé d’Alexis est un très bon ami de Derek.
Réclame
Reign of Terror, le deuxième album de Sleigh Bells, est disponible chez Jive/Epic (Sony)
Remerciements : Stéphanie et Antoine (Jive/Epic)
Catégorie : A la une, Entretiens
Artiste(s) : Sleigh Bells
Production(s) : Jive Epic, Sony
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