Entretien avec Rover
Il y a des artistes immédiats, dont on se méfie. Et il y a les artistes qui deviennent évidents après quelques écoutes… Rover n’est ni l’un ni l’autre. Il est tellement plus complexe et tellement simple en même temps. Globetrotteur, songwriter, guitariste de punk, compositeur de musique de film, Rover est intelligent, poétique, romantique, sensible et doté d’un sens de l’humour… Le Transistor a essayé de vous résumer une rencontre passionnante.
Rover
Avant de nous ensorceler avec sa folk, Timothée Régnier jouait dans un groupe de punk. « Mon frère vivait au Liban, je suis venu lui rendre visite, et je suis littéralement tombé amoureux du pays. Je venais de finir mes études et mon frère m’a proposé de rejoindre son groupe, The New Government. Ca sonnait bien, dit comme ça, au soleil. J’ai vécu deux-trois ans au Liban, et puis en quelques jours, l’état Libanais m’a renvoyé, parce que j’étais en visa touristique depuis un bon bout de temps. Donc j’ai pris le minimum et je suis rentré en France. »
Ce concours de circonstance a poussé Timothée à enregistrer ses propres compositions. « J’étais face à un espèce de néant, j’avais perdu beaucoup. J’ai donc du trouver un sens à ce retour et la musique m’y a aidé. Je me suis retrouvé dans une maison de famille en Bretagne, tout seul pendant un hiver. C’est une vieille maison, très habitée, dans laquelle j’ai retrouvé mes vieux instruments. Et pendant trois mois, j’ai vécu pour la musique et avec la musique au sens noble du terme. » Timothée s’est retrouvé face à lui-même, et c’est là qu’est né Rover. « J’étais libre de toutes influences, ce qui est très contrasté avec la position de guitariste dans un groupe de rock, où on est plus dans l’apparence, dans la mode, dans l’attitude, où on peut se cacher derrière d’autres membres du groupe, derrière la force d’un groupe aussi. J’ai essayé de faire une musique qui marque ce tournant. »
Son EP est inspiré de sa vie au Liban : ‘Birds‘ raconte Beyrouth sous les bombes. « En 2006, Beyrouth a été bombardé par l’armée israélienne. Donc je me suis retrouvé coincé pendant je ne sais combien de semaines, sous les bombardements israéliens. C’est quelque chose d’assez traumatisant. La vie est bouleversée, mais les Libanais sont assez habitués, malheureusement. » Cette expérience lui a permis de mieux comprendre les Libanais. « Je me suis retrouvé au milieu de ce conflit, un peu pris en otage et témoin d’une ville magnifique sous les bombes. C’était presque euphorisant, je comprenais la jeunesse libanaise qui vit à cent à l’heure, qui aime sortir, croquer la vie, qui a un coté très anguleux dans son art, très rugueux. » Par chance, Timothée a pu être hébergé à la montagne, dans une maison qui surplombait la capitale. « Voir cette se faire bombarder sous mes yeux, c’était assez dur, ça crève le cœur… et je me rappelle d’un matin très tôt où je regardais la ville, après les conflits de la nuit, et j’entendais les oiseaux qui chantaient, qui eux ne s’arrêtaient pas de vivre. Et je me demandais ce que eux pensaient de tout ça. Eux qui étaient témoins de cette violence, de cette pollution. Cette chanson est venue là. »
Pour garder la sincérité du projet, Rover a tenu à enregistrer l’album en analogique. « Avec Samy Osta [Tahiti Boy & the Palmtree Family, Da Brasilians, La Femme, Mrs Good], on a enregistré cet album à l’ancienne, dans un studio à Paris. Il est vraiment remarquable, il a une grande capacité à gérer le psychisme de l’artiste en studio. Là c’était un vrai défi, c’était sur bandes, donc on joue différemment : on sait qu’on peut pas forcément la refaire mille fois, on peut pas tricher. Du coup y’a cette espèce de tension permanente, qui doit hanter les peintres j’imagine. C’est du live presque, on saisit l’instant, avec ses défauts, avec ces dérapages qui font le charme de la musique que j’aime, dans les disques du passé. On a les fantômes surtout… »
Rover est de nature très exigeante, et d’autant plus en musique. « J’ai commencé la musique à 7 ans, j’avais pas de cours donc j’ai travaillé tout seul à apprendre comment fonctionnait une guitare, une basse, un piano. C’est très long, c’est laborieux, on se décourage très vite… et à l’age de 14 ans je me suis rendu compte que si je faisais pas d’efforts dans mes chansons, c’était merdique, ça marchait pas. C’était se contenter de ce qu’on sait faire. » Pendant longtemps, le jeune Timothée s’est même interdit d’écrire des chansons. « C’était pas encore le moment : il me manquait une technique, pour pouvoir créer des harmonies comme j’entendais dans ma tête. Et être dans un groupe de rock m’a permis d’apprendre d’autres choses comme l’harmonie entre deux guitares déjà, les harmonies vocales ensuite, ou comment marche un groupe de rock et le milieu de la musique. On en apprend toujours au quotidien, faut pas être impatient à mon avis. »
Rover raconte ce qu’il recherche en musique dans sa composition. « Le plus dur c’est de faire quelque chose d’incroyablement riche et profond, qui nous nourrira toute notre vie, comme Good Vibration par exemple ou Surf’s Up, qui explose le cerveau et qui en même temps est d’une grande simplicité à l’oreille. L’évidence en musique en fin de compte est la plus dure à toucher. Et c’est là qu’on sent que la chanson est réussie. Le moment on y’a 20 000 informations qui semblent évidentes et cohérentes… » L’évidence, c’est comme quand on regarde un paysage : « On cherche pas à savoir comment fonctionne un arbre, avec la sève qui monte, les feuilles, les cycles, l’automne, l’oiseau dedans avec l’écureuil… on regarde juste et on se dit que c’est exactement comme ça que ça doit être, avec le coucher de soleil… C’est cette évidence là que j’appelle les fantômes, qu’on retrouve dans les grands morceaux. Et c’est ce donne envie de se donner le matin, essayer de toucher ça de temps en temps… »
En matière de fantômes en musique, Brian Wilson reste la référence pour Timothée. « J’ai grandi avec Smile, je fais partie de ceux qui adoraient recontruire Smile à leur sauce à partir de bandes pirates piquées sur Internet. Quand on écoute les bandes d’époque – pas la réedition de 2001, qui pour le coup est un peu moins magique, même si elle est touchante – elles sont truffées de fantômes. » Les fantômes, c’est les silences, les vides analogiques, le souffle… « Cest là où les fantômes apparaissent, c’est là où on leur laisse de la place. C’est là où on peut toucher une sorte de troisième dimension en musique, où le son prend une dimension sur laquelle on peut pas mettre de mot. C’est comme certains tableaux de Van Gogh, y’a à la fois une texture, une odeur, une couleur et c’est tous les sens qui sont explosés. »
Timothée parle des Beach Boys et de Van Gogh, et pourtant ses artworks sont sombres et austères. « Ca fait partie de moi, j’envie aux autres ce que je n’ai pas peut-être. Je ne suis pas quelqu’un de très coloré. C’est pas une musique très gaie, les textes sont pas très gais, contrairement à Smile qui a quelque chose de très positif, même si l’homme devait pas l’être, tout comme Van Gogh bizarrement. Donc ça voudrait dire que je suis quelqu’un de très positif dans la vie, et que bizarrement sur mon œuvre j’ai pas du tout envie de donner cette image là. Je crois qu’au quotidien je suis quelqu’un d’assez drôle et gentil, et coloré. Dans l’intimité… Je dois avoir des sous-vêtements très colorés. »
Cette interview a été réalisée en partenariat avec Loïc Suty de Green Cats, Babies.
Rover (interview 15.11.2011) by greencatsbabies3
Réclame
Le premier EP de Rover est disponible chez Cinq7.
Rover sera en concert aux Bars en Trans le 1er décembre et le 8 décembre à la Flèche d’Or en première partie de Lilly Wood & the Prick.
Et vous pouvez d’ores et déjà réserver vos places pour le 27 mars à la Maroquinerie.
Remerciements : Victor et Pauline
Catégorie : A la une, Entretiens
Artiste(s) : Rover
Production(s) : Cinq7
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