Entretien avec Cassandra Jenkins

Trois ans après An Overview on Phenomenal Nature, Cassandra Jenkins est de retour avec My Light, My Destroyer. Un album doux mais tumultueux, chargé en émotions. Le Transistor rencontré la musicienne américaine pour une interview, pour finalement tomber tout simplement sous son charme, désarmés par sa sincérité.

Cassandra Jenkins partage une anecdote qui lui est arrivée en France. “Je jouais au festival Coconut à Saintes. j’avais préparé mon entrée sur scène, pour pouvoir m’adresser au public en français. “Je suis heureuse d’être en Saintes…” D’un coup, tout le monde s’est tu ! C’est là que mes musiciens m’ont expliqué que je venais d’annoncer à tout le monde que j’étais enceinte. C’était très drôle !”

Cassandra Jenkins

Cassandra Jenkins ne se formalise pas de ses erreurs, pour ce nouvel album, elle a jeté beaucoup de brouillons. “C’était plus comme un faux départ. Dans ma tête, je me disais qu’il était temps de faire un album, pour pouvoir repartir en tournée, un peu par nécessité… Or, je sortais de tournée, et j’étais un peu un robot. Malheureusement, pour faire un disque, il faut donner un peu de soi, voire tout ce qu’on a.” A la fin de la tournée de An Overview on Phenomenal Nature, la songwriteuse était en burn out. “J’étais épuisée. J’avais besoin de récupérer avant de pouvoir me consacrer pleinement à un album. Ça a été difficile d’admettre que j’avais des difficultés. Tous mes rêves étaient en train de se réaliser, mais j’étais trop détruite pour pouvoir avancer.”

La pandémie a détruit beaucoup de repères pour beaucoup de monde, et Cassandra Jenkins n’est pas une exception. “Je m’étais convaincue que je n’avais plus besoin des autres. probablement parce que j’avais réussi à tourner pendant une pandémie mondiale, après une année entière passée à survivre dans l’isolement. Sauf que pour écrire, j’avais besoin de me nourrir, d’aller à des concerts, de voir ma famille et mes amis, d’être dans la nature et de faire toutes les choses que j’aime. ” Après un temps, la compositrice a réalisé qu’elle avait besoin de se reconnecter aux autres. “L’un de mes plus grands défauts est d’être très indépendante. Et la vie m’a montré qu’en fait, j’ai vraiment besoin de contacts humains, d’une communauté. Bien sûr, je peux survivre sans, parce que dans chaque cellule de mon corps se trouve la volonté de vivre et de survivre, mais ce n’est pas une manière de vivre. J’en suis capable, mais ce n’est pas comme ça que je veux vivre ma vie !”

Dans la chanson ‘Clams Casino’, l’autrice raconte qu’elle ne veut plus être seule. “Ce morceau porte sur mes choix de vie, qui m’ont amenée à vivre en itinérance. Dans cette chanson, je suis en quelque sorte en dialogue avec ma grand-mère Doris mais aussi en dialogue avec mon dernier album, avec moi-même… Ce sont des questions, maintenant que j’ai atteint la quarantaine, sur la façon dont je veux vivre cette vie.” En miroir de cette réflexion, My Light, My Destroyer est un album très collaboratif, mais qui sonne très personnel. “C’est moi qui écris les paroles, mais la musique aide à les mettre en valeur et à leur donner vie, sinon ce ne sont que des mots sur une page. C’est là que je me tourne vers mes amis pour qu’ils m’aident, qu’ils m’encouragent à faire mieux. J’aime ces amis qui savent me mettre au défi. Et j’ai remarqué que je gravite autour de personnes qui n’ont pas peur de me faire des retours très honnêtes parce qu’elles savent que je peux le supporter.”
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C’est en faisant confiance à ses amis que Cassandra Jenkins a composé le single ‘Only One’. “Je suis très fière de cette chanson parce qu’elle m’a beaucoup appris. Le refrain est venu en quelque sorte de mon subconscient. J’étais au piano avec mon amie Steph Marziano, nous parlions en plaquant quelques accords, et tout d’un coup je me suis mise à chanter ce truc, et je me suis dit que c’était ringard, pop et générique. Et mon amie m’a conseillé de lui donner une chance de vivre.” Cette amie l’a mise au défi d’arrêter d’être aussi critique envers elle-même. “J’avais besoin qu’un ami me tienne la main et me dise d’être douce avec cette partie de moi qui avait besoin d’être exprimée. Nous avons donc enregistré cette chanson et je l’ai mise de côté. Mais je sentais qu’il y avait quelque chose… Cette chanson m’a appris que j’ai d’autres méthodes d’expressions. Elle m’a appris à les explorer et à ne pas toujours me réfugier dans une certaine esthétique…”

“La collaboration est le meilleur moyen de sortir de soi, de ne pas toujours faire à sa guise.”

Dans ‘Delphinium Blue’, Cassandra Jenkins fait référence à son expérience chez un fleuriste. “C’était un peu le métier de mes rêves. J’ai beaucoup appris sur les fleurs et les plantes mais j’ai surtout beaucoup appris sur les gens ! Chez un fleuriste, on voit le monde à travers les fleurs, qui deviennent un mode d’expression : pour souhaiter un joyeux anniversaire, pour s’excuser, pour réconforter une personne malade…” Dans cette boutique, l’artiste a été confrontée à beaucoup d’émotions humaines. “Mon rôle consistait à rendre service aux autres et à leur donner un espace de confiance pour qu’ils expriment leurs besoins. Parfois il s’agissait simplement de suivre leurs directives. Et parfois, une personne arrive, très nerveuse, parce qu’elle va rencontrer ses beaux-parents. Elle tremble et vous pouvez la rassurer : elle est désormais entre de bonnes mains.”

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A cette époque, la songwriteuse traversait une période difficile. “Rendre service aux autres m’a beaucoup aidée à un moment où j’étais très déprimée. Au début, j’ai pensé que le fait de m’entourer de couleurs, de belles fleurs – même si elles ont été retirées de leur environnement naturel -, était très utile. Ca empêchait mon esprit de tourner en boucle, anxieux, à imaginer des scénarios catastrophes.” Petit à petit, cette expérience l’a aidée à remonter la pente. “Ça m’a aidée à sortir de mes propres problèmes. Déjà, je sais me montrer à la hauteur lorsque quelqu’un a besoin d’aide. Mais en plus, pour gérer la dépression, il est recommandé de faire chaque jour quelque chose d’utile. Ça permet de reprendre confiance en soi, en plus d’aider les autres… et d’éviter de faire du mal aux autres ou à soi dans les pires épisodes de la dépression.”

Dans la répétition des tâches quotidiennes, Cassandra Jenkins a trouvé une stabilité. “Cette chanson parle de reprendre pied et de gagner en clarté, ce qui a été un processus douloureux, mais finalement très beau et vital pour continuer à avancer. En plus, je viens d’apprendre que le Delphinium, est un autre surnom de la lavande officinale ou Guardian Lavander. Ça me fait penser à mon ange gardien qui veille sur moi et qui me donne de l’espace pour pouvoir faire les choses.”

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L’album My Light, My Destroyer comporte un morceau en français. “La notion de langage m’intrigue, j’ai notamment écouté beaucoup d’interviews d’Anne Carson au sujet de la traduction. Le langage est un moyen de communication imparfait parce qu’on n’arrive jamais à exprimer exactement ce que nous voulons dire, quelle que soit la langue parlée. Par exemple, en France, j’ai beaucoup trébuché en essayant de parler français, et chaque erreur me fait me sentir idiote.” Le morceau ‘Attente téléphonique’ est plus parlé que chanté. “Je m’intéresse beaucoup au travail de Robert Ashley, et notamment sa pièce Automatic Writing, avec ce refrain en anglais qui répète ‘I’m a vistor”, avec cette idée que quoi qu’il arrive, nous parlons toujours une langue étrangère. J’ai fini par écrire un poème abstrait sur le besoin de se connecter, de communiquer, pour retrouver cette idée de transmission qui apparaît tout au long de l’album.“

Réclame

My Light, My Destroyer de Cassandra Jenkins parait le 12 juillet chez Dead Oceans
Cassandra Jenkins sera en concert le 15 novembre au Hasard Ludique


Remerciements : Agnieszka Gerard

Catégorie : A la une, Entretiens
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