Entretien avec Lea Porcelain
Lea Porcelain, c’est un duo, Julien Bracht et Markus Nikolaus, deux Allemands qui ont récemment déménagé à Londres pour donner une chance à leur projet. C’est ainsi que leur premier album est né, entre krautrock et synth-pop. Dès la première écoute, Le Transistor s’est retrouvé happé par leur Hymns to the Night. Donc même si on le nom de Julien Bracht, pourtant déjà connu sur la scène electro ne nous disait rien, nous sommes partis les rencontrer.
Lea Porcelain
Beaucoup comparent Lea Porcelain à Depeche Mode, et d’ailleurs, le duo a reçu une jolie proposition des Britanniques.
Markus : Ils nous ont proposé de partir en tournée avec eux. Le bookeur de Depeche Mode, a demandé à notre manager si on était dispos. Mais ils nous ont pas pris parce que notre album n’était pas encore sorti.
Julien : Le contrat était prêt à être signé. Mais c’était trop tôt pour nous. On aura une meilleure opportunité. Ca permet de continuer d’avancer.”
Markus et Julien se sont fortuitement rencontrés dans un club à Francfort.
Julien : Notre amitié a été instantanée. Mais, au début on a même pas parlé musique !
Markus : Et puis est arrivé ce moment, celui où tu te dis que c’est le bon choix.
Julien : Ce sentiment qui te dit que tout ce que tu faisait avant n’était qu’une étape pour en arriver là. Sentiment qu’on se doit d’écouter.
Markus : Et ça paraît facile à dire, maintenant que notre album est prêt à sortir. Mais imagine, il avait une carrière en techno prometteuse : il gagnait 2000€ par nuit avec sa musique !”
A la base, Julien Bracht est un producteur electro reconnu.
Julien : Je sais pas comment j’ai fait pour en arriver là. Un jour, j’ai eu l’idée d’en faire plus en live, d’aller plus dans l’idée de groupe. Et puis on est devenus amis avec Markus, et après 2 ans, on a décidé de tenter quelque chose, parce que j’étais fatigué de cette vie de techno nocturne. Et on l’a fait ! J’avais une vision de ses chansons, de ces atmosphères, et on a essayé de les combiner et ça a marché dès la première session.”
Julien et Markus ont tous les deux lâché leurs projets pour se lancer dans Lea Porcelain.
Markus : Perso, je n’ai jamais rencontré le succès avant d’être dans ce projet avec ma petite amie : on avait aussi un album de prêt, avec une avance d’un label, et un petit buzz. Et au milieu du truc, on était comme fatigués de tout ça, on voulait revenir à l’essentiel : faire de la musique. Donc décider de tout arrêter, pour nous deux, ça n’a pas été facile.
Julien : Mais c’était pas un choix conscient que d’arrêter nos autres projets, c’était plus la conséquence du début de Lea Porcelain. On est allés en Espagne, dans la maison de mes parents, et tous les matins, je les réveillais avec cette chanson. Je sais pas pourquoi, mais je devenu un peu émotif, et j’ai dit à Markus qu’on devait le faire sérieusement. Mais il restait évasif.
Markus : Moi je voulais juste faire de la musique.”
En fait, Julien a aidé Markus à mieux maîtriser sa voix.
Markus : Personnellement j’ai une barrière au niveau du chant, le fait d’aller dans une pièce avec un micro qui coûte cher, et chanter dedans, je peux pas le faire. Je peux faire une attaque panique, rien que d’y penser ! Et je pourrais jamais retourner dans une de ces cabines d’enregistrement. Julien le savait, et il m’a dit que j’avais pas besoin d’aller dans un grand studio, mais que ma voix avait juste besoin d’espace.
Julien : Et d’une mélodie, avec des paroles qui signifient quelque chose pour toi… J’entendais toujours cette voix canon, mais il se contentait de chanter très fort, et je lui disais toujours que l’idée, l’intention manquait. Mais le chant est excellent !
Markus : C’est comme un super moteur d’une voiture mais sans le super design.
Julien : Je lui ai toujours dit qu’il avait besoin d’un bon producteur. Mais à aucun moment j’ai pensé qu’on ferait quelque chose ensemble. Parce qu’on était tellement différents.
Markus : Et après avoir vécu 1 an dans un putain de trou à rats à Londres, avoir dépensé absolument toutes les économies de sa vie géniale… Maintenant on sait que ça valait le coup !”
Pendant deux ans, leur projet s’est sculpté petit à petit.
Markus : Le premier concert qu’on a donné, c’était le 9 mars 2015. Avant ça, il nous a fallu environ six mois pour quitter nos projets, nos copines, nos villes, et se lancer.
Julien : On a enregistré environ 45 chansons, et au fil des deux années, on a affiné nos goûts, nos envies.
Markus : On est jamais allés en studio avec l’idée d’enregistrer : c’était toujours un processus en cours. On a loué ce studio dans le Funkhaus, où on pouvait écrire, répéter, foutre le feu à la table – ce qui arrive parfois !-, ou encore danser si l’envie nous prend.
Julien : Il y a eu beaucoup de mouvements, de voyages, avec pas mal de temps entre les chansons. Parce que si on fait 5 chansons sur 5 jours, c’est difficile de ne pas tomber dans une facilité, comme si 4 des chansons allaient être une copie de la première. Or on a envisagé chaque morceau en tant que tel, et ça prend du temps.
Markus : Et on a jamais voulu se mettre la pression.”
Lea Porcelain sont restés à l’écoute de leurs proches, du ressenti par rapport à leur musique.
Markus : Les gens disent qu’il y a quelque chose de lourd dans nos compositions…
Julien : Mais qui donne une sensation de puissance, même si c’est sombre.
Markus : Je crois qu’on aime pas les faux sourires. Je souris tout le temps mais pas quand on me le demande, non.
Julien : On pense que chaque morceau a besoin d’un yin et d’un yang. Dans la vie, tout a deux facettes. Et si on fait de la musique seulement joyeuse, au bout du compte il va manquer quelque chose. Et quand un morceau est trop sombre, après 10 écoute, je suis déprimé, c’est trop. Mais je pense que si on atteint, et je pense qu’on a réussi avec cet album, ce niveau bipolaire, ça t’affecte mais ça t’élèves aussi. Ça te touche sur un point sensible du corps peut-être.
Markus : Ton âme est comme un vieux sage en équilibre. Si tu étais juste heureux, il serait neurotique. C’est un équilibre complet.
Julien : On ne peut pas vivre sans le soleil. Or le soleil peut vivre seul, mais l’ombre a besoin du soleil. C’est comme ça que j’expliquerais notre musique. On est fait à partir du soleil, tout ce qui existe dans notre monde est fait à partir du soleil, et après quoi on peut créer quelque chose qui va vers quelque chose de plus sombre. Facette qui est présente dans notre monde, et qui peut être agréable, quand il fait chaud par exemple. Cet équilibre donne une journée parfaite.”
Pour sceller ce projet, Lea Porcelain ont même monté leur propre label.
Markus : On a signé chez Kobalt, c’est plus une coopération qu’un label : ils te soutiennent jusqu’à ce que tu t’en sortes. C’est en quelques sortes la plus grosse maison d’édition au monde.
Julien : Nick Cave & the Bad Seeds leur font confiance.
Markus : On a une équipe qui nous conseille, mais on cède pas nos droits.
Julien : La plupart des gens qui y bossent sont saoulées de l’industrie de la musique. Parce que dans une major, si ton boss te dit que ton artiste ne rapporte pas assez d’argent… Dès le premier single, il faut atteindre des chiffres, sinon c’est fini.
Markus : T’as pas le droit à l’erreur. Or il faut qu’on puisse être libre. S’ils prennent ta liberté, ils prennent ton futur.”
Réclame
Hymns to the Night, le premier album de Lea Porcelain, est paru chez Kobalt / Pias
Lea Porcelain sera en concert le 26 juin au Garage avec The KVB et aux Nuits de Fourvière le 4 juillet avec Alt-J, au Latitude Festival et à Reading
Remerciements : Solenne et Judith [Boogie Drugstore]
Catégorie : A la une, Entretiens
Artiste(s) : Lea Porcelain
Production(s) : Kobalt, PIAS
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