Entretien avec Alex Cameron
Au printemps dernier, sans crier gare, a débarqué Alex Cameron avec son premier album Jumping The Shark. Un album qui détonne, qui sonne comme décalé, et de ce fait agrippe l’attention. Sur scène, accompagné tout juste d’un saxophoniste, l’Australien donne dans la démesure et le mélodramatique. Un véritable personnage qui s’inspire des petits échecs pour en faire une grande victoire. Le Transistor s’est posé avec lui pour un café au Carillon, afin de comprendre mieux son parcours. Et ça tombe bien il est doué pour raconter des histoires.
Alex Cameron
En quelques minutes, le voilà en train de comparer les mérites des applications pour prendre des notes sur smartphone. « Sauf que je me suis fait voler mon tel à Budapest. J’aime beaucoup cette ville, j’y étais pendant deux semaines pour me reposer entre deux tournées. Mais pour le moment j’ai rien pour enregistrer les idées qui me viennent, ça me tue. »
Petit, avant de vouloir devenir musicien, Alex Cameron aspirait à l’écriture. « Moi je pensais qu’il fallait que j’étudie, que j’aille à l’université pour devenir écrivain. C’est là qu’un collègue m’a expliqué que bien que ce soit une bonne idée d’obtenir un diplôme, le plus important, l’indispensable même, c’était de lire et écrire. Donc en 2012, je m’y suis mis et au bout de 100 000 mots je pensais avoir un livre… Mais ça a fini par prendre la forme de plein de petites nouvelles. » L’album Jumping The Shark est de fait comme une compilation de petites nouvelles mises en chansons. « J’insiste sur les paroles, parce que je sais que je peux écrire une mélodie probablement charmante, ça c’est naturel, mais je passe plus de temps sur les paroles. J’essaie de tirer le plus de chaque ligne, tout en les simplifiant, pour que ça sonne comme une conversation, ou que ça prenne la forme de la pensée d’un personnage. Je ne veux pas qu’il y ait d’ambiguïté sur le sujet de la chanson, je veux que ça soit perçu clairement. Pour moi c’est la base d’une bonne narration. »
Jumping The Shark parle d’échec, mais Alex Cameron fait partie d’un groupe qui a eu beaucoup de succès. « Certes on a joué deux fois à guichets fermés à l’Opéra de Sydney … C’était mon rêve de gosse, et je l’ai réalisé quand j’avais 21 ans. Mais en fait il y a tellement plus à faire ! Et entre deux albums, je me suis senti inutile, sachant qu’en plus ce n’était pas forcément le style de musique que je voulais faire… J’ai continué parce que c’est ce que je faisais depuis mes 17 ans, alors que c’était pas ce que j’espérais. » Malgré les concerts affichant complets, l’artiste était fauché, obligé de garder un boulot à plein temps. « Le groupe générait de l’argent, mais individuellement on ne se payait pas : tout allait dans le business. C’est un peu comme ça que la plupart des groupes sont encouragés à fonctionner ces temps-ci. Perso je galérais, je travaillais la semaine et vendredi soir je sautais dans un vol pour aller jouer… C’était fou. Au bout d’un an et demi, j’étais une épave, donc je suis venu en Europe pour finir cet album Jumping The Shark. »
Finalement Alex Cameron a décidé de rester en Europe pour donner autant de concerts que possible.« J’ai été emporté et encouragé par les actions que j’entreprenais, au fur et à mesure que l’histoire se développait. J’étais en fait à la recherche d’expériences, pour pouvoir continuer à créer. J’ai arrêté de croire en la stabilité, et j’ai commencé à me concentrer et être inspiré par l’insécurité et l’inconnu. Je suis venu ici avec un peu d’argent en poche, c’était un peu plus simple pour moi mais ma sœur habite à Londres… » A Sydney, le songwriter travaillait dans un département de lutte contre la corruption. « C’est en quelque sorte confidentiel. Je recevais des accusations sur des personnes d’institutions publiques, et je menais l’enquête avec un avocat. C’est une partie importante de ma vie. C’était épuisant émotionnellement : ces gens me racontaient comment ils avaient été maltraités ou négligés… des choses sérieuses. C’est pourquoi il me fallait écrire. »
Alex Cameron est parti parce qu’il était arrivé à bout émotionnellement. « On m’a parlé de ce seuil d’empathie : on a tous un seuil de tolérance, on devient insensible à certaines situations avec le temps. Or j’ai commencé à sentir que j’atteignais ce seuil, donc comme j’avais l’argent et les chansons, j’ai choisi de partir. Parce que je ne voulais pas perdre complètement la passion que j’avais pour écrire des histoires. » Pour pouvoir continuer à écrire, il lui fallait changer de vie. « Je voulais éviter l’indifférence développée à cause ma stabilité mais surtout de mon travail, à toujours être exposé aux mêmes choses. Je buvais beaucoup aussi. Entre le boulot, les sorties et l’alcool, je n’étais pas productif. Quand je repense à ce qui s’est passé début 2014, je suis heureux de voir où j’en suis maintenant. Ce que j’ai accompli en seulement deux ans et demi… »
Cet album, Jumpink The Shark, raconte ce cheminement pour dépasser un challenge personnel. « Je voulais critiquer ce sentiment de mérite… En soi, on ne mérite rien, on obtient ce pour quoi on a bossé. Tous mes personnages se plaignent, rejettent leur échec sur les éléments extérieurs. Certaines personnes se contentent de vivre avec, et ça me rend malade. Donc je voulais décrire des personnages qui font de leur mieux pour dépasser ces situations, et peu importe qu’elles y arrivent, ce n’est pas la question. Au moins ils gèrent leur problème. »
Sur scène, Alex Cameron est seul avec son associé et saxophoniste Roy Molloy. « Les concerts c’est un choc pour mon corps, parce que c’est très intense : il faut se tenir prêt pour la vague d’énergie, d’adrénaline. En préparation, je fais de l’exercice, et je ne bois plus avant de monter sur scène. Avant je buvais beaucoup, et maintenant plus une goutte. Bien sûr je bois avec mes amis, mais quand je joue je suis complètement sobre. Ce qui est très bien pour le corps, mais c’est assez fou pour l’esprit. » Sans aucune retenue, le performer donne dans le mélodramatique. « Je me concentre pour invoquer une émotion, peu importe laquelle. Mon boulot est de mettre le public à l’aise. Parce que ce n’est pas non plus si facile que ça d’aller à un concert. Pour ceux qui ne sont pas habitués, ça peut être éprouvant. On se sent complexé par moments : à 17 ans, je savais pas trop comment me comporter en concert. C’est bizarre, on aimerait danser mais sans être sûr si l’on doit… »
Depuis cinq ans bientôt qu’Alex Cameron tourne avec son projet solo, il a beaucoup appris. « Sur scène, les décisions doivent être prises en une fraction de seconde : c’est totalement honnête. On apprend au fur et à mesure, de concerts en festival. On voit ce qui marche, et on tente de le reproduire, tout en essayant de garder l’échange naturel. Je ne suis pas un comédien, je n’ai jamais étudié le théâtre, c’est juste de l’apprentissage, à savoir comment exprimer mes chansons en live. » Et pour un songwriter, il prend son travail de showman très au sérieux. « Une fois les gens à l’aise, je vais essayer de leur faire ressentir quelque chose. C’est le show ! Un show doit avoir du drame et de la tragédie. Donc c’est normal qu’on se sente bizarre au début et soulagé à la fin. On ne peut pas faire semblant sur scène. Dans une certaine mesure, monter sur scène c’est la vivre. Le show c’est ce qui rend la musique réelle. »
Réclame
Jumping The Shark, le premier album solo d’Alex Cameron, est paru chez Secretly Canadian / [PIAS]
Alex Cameron sera en concert pour le Pitchfork Avant-Garde le 25 octobre au Supersonic
Lire le live report d’Alex Cameron au Trabendo en première partie d’Unknown Mortal Orchestra
Remerciements : Agnieszka Gérard
Catégorie : A la une, Entretiens
Artiste(s) : Alex Cameron
Production(s) : PIAS
[…] Mardi 25 octobre, tu peux commencer par le Café de la Danse par exemple, ambiance urbaine avec l’orchestral Krrum, le flow smooth mais étonnamment tranchant de Loyle Carner, et l’envoûtante Frances dénichée par Kitsuné. Pendant ce temps-là au Badaboum, ambiance R’nB avec l’énergique pop de la norvégienne Dagny, la prometteuse Mabel – fille de Neneh Cherry donc elle doit avoir ça dans le sang – et la pop-synthétique de Fickle Friends. A la Mécanique Ondulatoire, ambiance pop avec les adulescents Get Inuit qui démontent les toms de batterie, suivis des rêveurs Hoops et de la douceur d’Anteros. Au Supersonic, on se perd avec les langoureux Klangstof, on plonge avec l’electro-profonde de Smerz, et on se prend une claque par la performance d’Alex Cameron (lire l’interview). […]
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