Pourquoi continuer ?
L’album qui se finit juste à temps pour entendre l’appel. L’attente qui se termine enfin. Je crois que je préférais l’incertitude. Les sanglots montent quand une question persiste : quel album il aurait écouté là maintenant ? La seule qu’on est en mesure de se poser parce que tout autre est inimaginable.
Ce qui s’est passé vendredi soir reste irréel parce que l’idée est juste insupportable.
On a tous pensé « et si c’était moi ? ». Et si j’avais obtenu le pass photo pour notre reporter Spud. Et s’il n’y avait pas eu le festival des inRocKs à cette période. Et si j’avais eu une commande pour couvrir les Eagles of Death Metal. Et si un ami m’avait proposé de retourner les voir. Avec des si on met Paris en bouteille, mais sans, on reste en carafe…
On a eu de la chance. Mais c’est pas tant le fait de se sentir vivant qui va nous pousser à continuer. Par moments même, on se dit que ce serait plus logique que ce soit nous plutôt qu’un innocent. Un habitué plutôt qu’un fan qui attend ce concert depuis plusieurs mois. Un accrédité plutôt qu’une personne qui a économisé pour la place, pour le train. Et puis une fausse alerte, un mouvement de foule et on se retrouve cloué au sol à serrer les mains de ceux qui ont eu la folie de nous accompagner à République. Et on se dit que non. Finalement, on aimerait bien continuer à faire ce qui nous passionne.
A la question « pourquoi continuer », beaucoup d’artistes qui ne rencontrent pas leur public ou qui sortent d’un hiatus, confient dans un triste sourire qu’ils ne savent rien faire d’autre. C’est faux : même si ça prend du temps, on peut tous se réinventer. Surtout dans notre industrie qui connaît des anciens militaires comme de futurs fromagers. On est tous capable d’apprendre un autre métier, le fait est qu’on en a pas envie. Pas parce qu’on est des ados attardés. Mais parce que c’est là qu’on puise notre énergie. Ce sont les inspirés qui nous ressourcent.
Alors oui je suis heureuse de savoir que les mairies ont tout de même célébré les mariages samedi. Les mariages et les naissances. Car l’amour vaincra ! Il faut voir tous les coeurs qui ont circulé en 48h. Tellement d’entraide, d’encouragements, de relais pour retrouver les disparus. Sans compter les files d’attentes pour faire exploser les dons du sang, les free hugs qui fleurissent, le soutien et la solidarité sur des petits rien qui font tout.
J’aimerais savoir quoi en penser au niveau politique. Du fait que c’était encore des enfants. Qu’Ils ont visé sur tout ce qu’on a, tout ce qu’on est, tout ce qu’on aime. Comme le voisin de classe jaloux qui vole le calot qu’on a gagné à la récré. Parce qu’on la gagnée cette liberté non ? Notre Marseillaise est suffisamment sanglante comme ça. Et quelque part, vendredi soir, Ils se sont chargés de nous rappeler qu’elle a un prix cette liberté chérie.
En janvier, on pensait l’avoir perdu notre liberté. Et tout au long de l’année, c’est notre égalité qui a été mise à l’épreuve. Mais là, ils viennent d’exacerber notre fraternité. On est prêts à être encore plus Français que jamais. Ceux que le monde a toujours aimé détester parce que fiers et arrogants à persister à fumer des clopes en terrasse en novembre. A s’enflammer sur des matchs amicaux de pétanque comme pour des finales de coupe de monde de football. Et à sacrifier tout bon sens pour un peu de bon temps. On dormira quand on sera mort. Et pour l’instant je préfère passer mes nuits à me réjouir de ceux qui sont là. A prendre des nouvelles de ceux qui s’en sont sortis. Sans oublier un seul instant ceux qui nous ont quittés, ceux qui n’ont pas survécu. Le vide qu’ils ont laissé ne sera jamais comblé. On va tâcher d’apprendre à vivre avec. Ensemble, c’est mieux.
‘Kyrie Eleison‘ by Bachar Mar-Khalifé
Mais je refuse de penser que ce vendredi 13 novembre est le jour où la musique est morte comme un certain 3 février 1959. J’ai peur certes mais je veux pas renoncer. Je vais apprendre à courir plus vite si vous voulez mais je veux continuer à raconter mes émotions quand un artiste me prend aux tripes. Je refuse de céder à la terreur. Même si j’ai une trouille bleue, que je suis livide des dernières nuits à tourner sans pouvoir trouver le sommeil et les yeux rougis par les larmes pour ceux qui nous manquent.
Alors on va se remémorer notre meilleur souvenir au Bataclan… Comme ce tout premier concert de rock en janvier 1999 pour The Offspring. Et le premier concert de Eels en 2006. Et le suivant, quelques années plus tard, où on a poireauté devant le tour bus pour faire dédicacer son autobiographie, parce qu’on a pas honte de dire qu’on est fan. Repenser à la gentillesse de Serj Tankian. Et des sourires quand on a fêté les 30 ans d’un de nos potes après le concert de Fauve.
On va se partager tous ces souvenirs en attendant de s’en faire plein d’autres avec les copains. Parfois au premier rang, parfois pour déguerpir après la première partie, parfois pour passer le concert à débattre au bar, mais parfois aussi pour faire connaissance. Pour crier, pour pogoter, pour suer. Pour célébrer la vie.
Ok, ok. On continue mais comment ? On n’est pas bien sûrs… On va laisser le temps, on va se voir, et puis on va s’aimer, bordel ! S’aimer c’est bien.
Remerciements : La vie, l'amour, l'espoir, les amis, les chatons, les bisounours, les licornes, les m&m's de toutes les couleurs. La musique.
Catégorie : Editoriaux
Salle(s) : Bataclan
Production(s) : Nous, Nous Productions
Ville(s) : Paris
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